Lurker

Lurker

"Dans l'eau personne ne t'entends caster"

A la nuit tombée, sur les bords du Lac Serpent, un feu de camp éclaire les visages d'une poignée d'hommes et de femmes aux visages fermés. Du bout du doigt un elfe à l'imposante stature dessine dans la vase le schéma du champ de bataille qui les attends. De grands sacs huilés, munis de poches remplies d'air, passent entre les rangs et chacun y dépose son équipement, une longue nage les attends et leurs forces doivent être intactes à l'arrivée. Les sifflements des nagas résonnent dans la brume, mais ce soir le Triumvirat n'a que faire des sous-fifres et c'est directement dans les profondeurs abyssales du Mal que sa destinée l'appelle.

Aussi silencieusement qu'une anguille, les aventuriers glissent dans l'eau, et parvenus à l'aplomb de la caverne prennent simultanément une puissante inspiration. Les minutes s'écoulent, longues et laborieuses, la lumière cède le pas à l'obscurité à mesure qu'ils s'enfoncent dans les profondeurs, l'air vient à manquer, le sang bat aux tempes de chacun comme un tambour de guerre assourdissant, mais nul ne faiblit, les coeurs résonnent et son prêts d'exploser, et soudain la lumière ! Une poussée volontaire, un battement de pied furieux et l'air est là. Tous aspirent le souffle de vie à grandes goulées pour aussitôt se mettre à tousser : l'atmosphère est ici viciée, saturée d'une puanteur méphitique, aucun doute n'est possible, leur ennemi est bien là !

Derrière la cascade, c'est là que se trouve l'entrée du Temple. Les grands sac huilés repassent de mains en mains, chacun y récupère ses affaires reconnues instinctivement du bout des doigts comme de vieilles compagnes longtemps chéries. Puis ils avancent... dans une autre réalité les dents de la mer sont une fiction désuète qui prête à sourire mais ici, ce soir, devant le Triumvirat, l'expression prend tout son sens. Aussi loin que le regard porte l'eau est agitée d'une myriade de poissons aux dents acérées et à l'appétit vorace, y plonger trop longtemps équivaut à sceller sa tombe. Un brin inquiets, les aventuriers échangent des regards soucieux, leur ennemi est à ces poissons ce que Moby Dik est à Némo, une version beaucoup plus grosse, beaucoup plus méchante et surtout beaucoup plus dangereuse ! Là bas, au loin, le bassin du Lurker... Invisible il attend dans les profondeurs insondables que quelqu'un ose le défier.

Après s'être débarrassé des Nagas et Hommes-champignons leur barrant le passage, les membres du Triumvirat s'installent en cercle autour du bassin de la gigantesque créature. Les regards les plus perçants ne parviennent qu'à entrevoir de vague mouvement très loin au fond de l'eau. La première étape consistant a amener le monstre à la surface, seul endroit où le Triumvirat possède une chance si maigre soit-elle de le vaincre, s'avère délicate. Les cannes à pêches sont jetées, mais mouches et asticots n'attirent pas un instant l'attention du léviathan des eaux. Ils combattent pour le Bien mais on ne peut pas vraiment dire que tous les membres du Triumvirat soient des enfants de choeur, et c'est de l'un des plus sadiques qui vint la solution. La décence m'interdit de citer son nom, sachez juste qu'il fut un temps connu sous le pseudonyme de "mage en rose", cet être dont la malice réjouit les coeurs autant qu'elle terrifie les âmes, était parvenu à la conclusion "qu'il faut un plus gros appât". De la théorie à la pratique son esprit décadent n'eut pas un instant d'hésitation et sa main, amicalement posée sur l'épaule de son collègue en magie verticalement défavorisé, effectua une franche poussée sur le gnome, qui, surpris, se retrouva immergé jusqu'à la pointe des moustaches.

Le silence pesant de la caverne fut bientôt brisé par les rires, les reproches des membres et les cris de colère du gnome trempé. La main ferme d'un paladin nain se tendit vers lui pour le sortir de l'eau, et dans le même instant sa voix imposante recouvrit le brouhaha d'un puissant "Silence ! Ecoutez !"... et ils se turent... et ils écoutèrent... et ils entendirent... tel le ressac d'une marée puissante l'eau s'agitait d'une pulsation pesante, puis des bulles percèrent sa surface, et soudain d'un bond gigantesque faisant pleuvoir un déluge sur les aventuriers il fut la : Le Lurker !

C'est la marque des héros de s'adapter très vite et d'être toujours prêts au combat. Avant même que la bête ne replonge, le général cuirassé le défia et quelques instants plus tard, un enfer d'acier, de griffe, d'ombre, de feu et de glace s'abattit sur le monstre. Tel un poisson hors de l'eau, il vrillait violemment, projetant nos hommes d'armes dans les airs ou dans les eaux. Chacun pu trouver une main secourable lui permettant de vaillamment repartir au combat. L'animal projeta moult déluges et nos corps furent fracassés par des murs d'eau solides comme la pierre. Mais nous ne cédâmes pas. Nos forces faiblissantes continuèrent de s'opposer à la fureur du Mal jusqu'au moment glorieux où, dans un dernier spasme, le Lurker fit un ultime plongeon qu'il ne put jamais achever. Nos coeurs autant que nos bras avaient vaincus et l'espoir qui fuyait nos âmes depuis des semaines revint en nous comme un fils prodigue. Le Mal devait toujours compter avec le Triumvirat, ce jour en donnait la preuve et l'avenir en donnera de nombreuses autres !